COLORISER BALTHAZAR

C’est dans les Collectanea et Flores du pseudo-Bède que l’on croise la première mention supposée d’une carnation pour Balthazar, décrit comme fuscus (sombre, brun, foncé),

« Magi sunt, qui munera Domino dederunt : primus fuisse dicitur Melchior, senex et canus, barba prolixa et capillis, tunica hyacinthina, sagoque mileno, et calceamentis hyacinthino et albo mixto opere, pro mitrario uariae compositionis indutus: aurum obtulit regi Domino. Secundus, nomine Caspar, iuuenis imberbis, rubicundus, milenica tunica, sago rubeo, calceamentis hyacinthinis uestitus: thure quasi Deo oblatione digna, Deum honorabat. Tertius, fuscus, integre barbatus, Balthasar nomine, habens tunicam rubeam, albo uario, calceamentis milenicis amictus: per myrrham filium hominis moriturum professus est. Omnia autem uestimenta eorum Syriaca sunt. Mundorum namque est munda contingere, et sanctorum sancta cognoscere ». (Pseudo-Bède, Excerptiones Patrum, Collecteanea, Flores ex Diversis, Quaestiones et Parabolae [Les mages sont ceux qui ont donné des cadeaux au Seigneur. Le premier fut, dit-on, Melchior, vieux et chenu, à la barbe et à la chevelure fournie, qui portait une tunique violette et un manteau orange, des chaussures de deux couleurs, violet et blanc, revêtu d’un (mitrario ?) d’une composition différente : il apporta au roi Seigneur de l’or. Le deuxième, du nom de Caspar, jeune et imberbe, rubicond, vêtu d’une tunique orange, portant un chapeau rouge et des chaussures violettes : il honorait Dieu avec de l’encens, comme digne offrande à Dieu. Le troisième, sombre (barbu ?), du nom de Balthasar, portant une tunique rouge, du vair blanc et les pieds recouverts de chaussures orange : c’est avec de la myrrhe qu’il confessa le fils de l’homme qui devait mourir. Tous leurs vêtements sont syriaques. De fait, c’est le rôle des ornements que de toucher les ornements et celui des saints que de reconnaître les saints », traduction de Mathieu Beaud,]

Le terme même peut porter à confusion. Il n’est premièrement pas certain qu’il porte sur la carnation du mage. Même si c’est le cas, le mot demeure ambigu car moins précis que niger, adjectif s’appliquant entre autres à décrire la couleur de peau des peuples d’Ethiopie (Aithiops (Αἰθίοψ), au visage brûlé. Néanmoins dans la tradition irlandaise, puis au sein des pays germaniques où celle-ci prend racine à la fin du premier millénaire, la carnation noire de Balthazar et son association avec l’Éthiopie sont omni-présentes. En revanche, on ne trouve aucun Roi-Mage noir ailleurs en Europe.

Il semble que le premier personnage noir ait étéla reine de Saba avec Nicolas de Verdun (c ?1180).

Ce fut en 1266 que Nicola Pisano (c.1227-c. 1280) sculpta deux assistants africains subsahariens auprès des trois Mages. Il faut attendre le milieu du XIVe siècle pour voir Balthazar, originaire de Saba, associé dans ses armoiries à une tête de Maure.

Wapenboek (Armonial) de Gelre (c.1370-c.1414), recueil d’armoiries médiévales (Bibliothèque royale de Bruxelles).

Au début du siècle suivant, on rencontre les premières figurations anonymes d’un Balthazar noir sur les retables de Fridberg (1410) ou de Staufen (1420). Trois causes principales expliquent la naissance d’un Mage noir en pays germanique :

D’abord le succès de deux œuvres qui présentent un personnage noir, à savoir l’Historia Trium Regum de Johan von Hildesheim (un roi noir éthiopien descendant de la Reine de Saba) et les Voyages de Jean de Mandeville (c.1300-c.1372), négociant, mercenaire, négociant. Ensuite, la réévaluation, en pays germanique, de la couleur noire dans l’héraldique et l’iconographie religieuse. Enfin un nouveau contexte géopolitique. Par les croisades, les Occidentaux découvrent les royaumes chrétiens de Nubie (VI-XIIIe siècle) et l’Ethiopie (thématique du royaume du Prêtre Jean situé dans l’Inde nestorienne ( ?), l’Asie centrale ou le Shaanxi, avant de se fixer en Ethiopie : cf. la carte catalane d’Abraham Crescas, 1375).

La première représentation d’un Roi-Mage noir semble être celui du retable (150 x 140)(1437), huile sur bois de sapin, de Hans Multscher (c.1400-c.1467), à Wurzach en Souabe, musée d’Etat de Berlin.

Le mage noir devient dominant à mi-XVe siècle.

Panneau central du triptyque (à gauche, la Nativité, à droite, la présentation au temple) de l’Adoration des Mages, détrempe (Couleur broyée à l’eau puis délayée avec de la colle ou de la gomme) sur bois, de Hans Memling (1430-1494), musée du Prado, Madrid.

Richesse des costumes / largeur du champ, qui permet la présence des spectateurs des deux côtés / Le roi noir Balthazar lève son chapeau de la main gauche en forme de salut quand il entre. Il porte un costume en brocart, aux manches incroyablement larges, bordées de fourrure blanche. Le sabre, dans son étui rouge, est tenu par une chaîne d’or qui entoure et accentue sa taille. Les éperons, à ses chaussures, sont aussi délicatement modelés que sur ceux des autres rois mages. Le roi agenouillé Melchior, le plus âgé, est lui aussi vêtu richement ; son manteau à large pans bruns bordé de fourrure s’ouvre sur un pourpoint dont les manches et les jambes sont serties de pierres précieuses. Son chapeau rouge, posé devant lui, est orné d’une fine couronne d’or. Gaspard enfin, genou par terre, porte sous son manteau rouge un pourpoint de brocart. Fixé à sa poitrine par une broche d’or, de pierres et de perles, un voile transparent s’enroule autour de son épaule et sur son dos. Chacun des trois rois a apporté son offrande dans un réceptacle fermé, muni d’un couvercle dont la pointe porte une pierre précieuse. La grange, largement ouverte au centre sur plusieurs baies, donne à voir un paysage urbain animé derrière un rempart.

Panneau central (138 x 72) du triptyque de la Nativité (c.1495), de Jean Bosch (c.1450-1516), musée du Prado, Madrid.

Les panneaux latéraux représentent les donateurs accompagnés de leurs saints patrons : Peeter Scheyve et St Pierre sur le panneau de gauche ; Agnès de Gramme et Ste Agnès sur le panneau de droite. Le panneau central représente Jésus dans les bras de la Vierge, en présence des trois mages. La grange délabrée et les personnages inquiétants qui se trouvent à l’intérieur symbolisent l’imminence du danger. Deux paysans sont sur le toit et regardent la scène . D’autres essayent de jeter un œil à travers les ouvertures situées dans les murs de la grange ou en montant au sommet des arbres environnants. Au deuxième plan, une scène de bataille ; des hommes montés à cheval s’élancent depuis la droite et la gauche, dans ce qui semble être le prélude d’un combat. Au loin, un troisième groupe de cavaliers se dirige vers la ville. À l’arrière-plan, on distingue la ville de Jérusalem avec en son centre, un moulin à vent, un symbole récurrent dans l’œuvre de Bosch.

L’Adoration des mages (1504), tableau (99 x 113) d’Albrecht Durer (1471-1528), peinture à l’huile sur bois de pin, musée des Offices, Florence

Dürer s’est représenté lui-même dans le personnage du roi au centre, vêtu en vert avec des cheveux bouclés jusqu’aux épaules, sa coiffure habituelle. A noter sa perspective. Balthazar prend les traits physiques pensés comme caractéristiques de l’homme africain. La représentation dudit troisième roi mage oscille constamment entre présence et mise à l’écart. Dans cette Adoration des mages, Balthazar est richement vêtu, mais il porte des vêtements européens. Il est parfaitement visible au centre du panneau, mais éloigné du Christ. Quel que soit le medium, la construction spatiale et narrative des scènes d’adoration est éloquente, puisqu’elle place le roi mage noir à l’écart de l’intimité créée entre la Sainte Famille et ses deux congénères. NB Néanmoins Giorgio Barbarelli ou Zorzi da Vedelago dit Giorgone (1477-1510) ou le grand Léonard de Vinci (1452-1519) proposent toujours trois rois mage blancs.

À partir du XVIe siècle, la tradition d’un Balthazar noir est désormais établie comme le montre La adoración de los Magos (1619), huile sur toile (204 x 126), musée du Prado (Madrid).

 En plus des trois rois mages dont Balthazar noir, de la Vierge et de l’Enfant, Velázquez peint Joseph et un page. Ces personnages remplissent totalement sa toile et ne laissent qu’une petite ouverture où il peint un paysage crépusculaire à l’angle supérieur gauche. La ronce au pied de Marie fait allusion à ses méditations, exprimées par son visage concentré et serein. Les personnages seraient des portraits de famille : Melchior = Francisco Pacheco, son beau-père / Marie = Juana Pacheco, l’épouse du peintre / Jésus = fille du peintre / Gaspard = Juan Velázquez, son frère.

Et la tradition continue encore

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