Sur les sentiers des Huguenots

200px-Croix_HuguenoteEn souvenir du départ des Huguenots français vers le Refuge, après la révocation de l’Edit de Nantes (1685) par Louis XIV et de la « Glorieuse rentrée » (1689/90) des Vaudois piémontais vers leurs vallées, a été tracé, plus de trois siècles plus tard, le « Sentier des Huguenots« . La partie française, longue de 360 km et 29 étapes, part de Poet-Laval (Drôme), et via Dieulefit, Die, Mens, Vizille, Grenoble, Chambery, Aix-les-Bains et Frangy rejoint Genève.

Quelque soit le chemin emprunté, marcher conduit à l’Absolu, au Désert, à soi, à l’essentiel et/ou à un ailleurs buissonnier.

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Départ : mercredi 11 juin , gare de Lyon (Paris). Premier suspens : à cause de la grêve annoncée, aurons-nous notre train? Difficiles nugae !

Lundi 9 juin, 20.35 : Nous décidons de remplacer le rail par la route. Merci à l’ami Gérard toujours prêt à jouer le Bon Samaritain !

Mardi 10 juin, 11.22 : le ciel yvelinois est toujours orageux. Les préparatifs pour les randonnées, les simples ballades ou les grands voyages procurent de petits bonheurs avant le départ même. On choisit un compagnon de lecture. On soupèse quelques objets. On plie religieusement un vêtement. Un soupçon d’adrénaline débusque les éventuels oublis. Les préparatifs d’aujourd’hui ont déjà un parfum de marche d’après-demain.

Mercredi 11 juin : Rambouillet (6.00) / Saint-Paulet-de-Caisson (14.00), via le Massif Central (pas de grosses difficultés de circulation, sauf la traversée de Saint-Etienne). Halte sous les oliviers, les pins et les platanes de l’ami Gérard. 16.00 : nous repartons dans la voiture de Gérard (Montélimar / La Bâtie-Rolland / La Bégude-de-Mezenc / Souspierre : des noms qui évoquent les communautés de l’ancien « colloque » du Valentinois d’avant la Révocation). Après quelques détours dans la Combe Raynaud, nous voilà au Diable Vert (au Diable vauvert comme une invitation au voyage!). Parmi les origines de l’expression, même si elle n’a pas l’assentiment de la majorité des érudits, on prendra celle de Posquières-Vauvert (Languedoc), sur le chemin de Saint-Jacques, en l’apprivoisant pour la rendre bénéfique. Notre charmante hôtesse est néerlandaise d’origine huguenote. On craque pour son thé au romarin. La chaleur diurne s’estompe progressivement. Le vent commence à agiter le faîte du bois. Vers l’est, le ciel est ennuagé. Peut-être l’orage ? Cras ingens iterabimus aequor (sic) !

J1 : lever à la fraîche. Yet est partie chercher les viennoiseries et le pain frais. 9.40 : adieu Diable vauvert ! Le sentier jusqu’au vieux-village du Poët-Laval a été bien tracé en rouge par Yet. 10.30 : arrivée au Pogetum Vallis. Visite (libre) de l’ancienne commanderie de Saint Jean de Jérusalem, aux murs gris et austères. Du donjon, en pierre jaune pâle, percé de rares ouvertures, on a une vue étendue, circulaire et changeante sur le village, les contreforts boisés, la vallée du Jabron et la Montagne de la Lance. Plus bas, le Centre international d’art et d’animation Raymond du Puy (entrée : 3,50 euros), inauguré en 1995, s’étale avec raffinement discret sur trois niveaux. La grande salle basse est ornée de deux fort belles colonnes byzantines, de la dynastie macédonienne. La présente exposition été 2014 est consacrée au peintre François Legrand, d’Etampes, passé de l’expression abstraite à la figuration. Nous avons admiré, entre autres, divers portraits dont celui d’Olga. Grand regret : le musée du protestantisme n’ouvre qu’à 15 heures, jusqu’au 14 juin. Nous décidons de prendre un repas frugal devant sa porte close. Le plat lyophilisé se laisse manger sans excès gustatif même si nous ne doutons point de sa légèreté, de sa bonne conservation et de sa qualité nutritionnelle. La chaleur canilucaire montante n’ajoute rien aux attraits du festin. Nous décidons de gagner Dieulefit avant le zénith solaire. La progression est malaisée à cause de la forte température (38° degrés à l’ombre). La descente vers le village, sur la route goudronnée, mais à l’ombre (en partie) nous ragaillardit.  L’Hôtel du Beffroi somnole jusqu’à dix-huit heures et quelques minutes. Ledit beffroi, orné d’un cadran solaire et d’une horloge, porte une fière devise populaire : Lou tems passo, passo lou benNous validons nos passeports à l’office du tourisme (accueil amusé, sympathique et encourageant). Nous décidons de musarder dans la Viale, la vieille ville. L’ancien temple (ou plutôt ses restes) conserve une porte et deux fenêtres closes de bois peint aux dessins de couleur vive. 800px-Dieulefit_-_temple_3L’actuel temple, daté de 1806, était fermé. De guerre lasse et de pieds fatigués, nous nous allongeons sur un muret mitoyen, à l’ombre de l’Arbre de la Liberté, planté en 1989.  Retour à notre hôtel d’antan (WC au fond du couloir). Pension et cuisine de famille : pourquoi pas la truite à la crême de châtaigne ? L’hôtelière est affable, causante et enjouée. Un conseil : si tu veux dormir fenêtre ouverte, évite les chambres côté place à moins de vouloir partager les rires, les éclats de voix et les chants des clients du bar voisin.

J2 : Départ de Dieulefit au petit matin. Il semble faire un peu moins chaud. Première halte à l’Eglise romane Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Comps. Le trajet sans problème majeur (GR du Tour du Pays de Dieulefit, puis itinéraire équestre) semble un tantinet longuet. Le sentier passe à côté du château de Saint-André (Le Poet-Célard). Un tradition veut que Calvin, hébergé en ces lieux, y célébra la Cêne en septembre 1561. Descente vers Boudonne. La température est encore élevée (30/32° au midi, à l’ombre). Premières prémices de crampe. Quelques élongations près d’un petit cimetière protestant. Pour les Huguenots, le cimetière marquait une appartenance à la communauté. Les mesures d’exclusion ultérieures des XVII-XVIIIe siècles se surajouteront à des pratiques sociales nées dès le XVIe siècle. Après la Révocation, à la séparation s’ajouta la clandestinité des obsèques. Avant d’arriver à Bourdeaux, il faut traverser le Roubion à gué, avec de l’eau jusqu’au mollet. La fraicheur du courant enleva fatigue, courbatures et douleurs, comme un nouveau petit Jourdain drômois, cher au Psalmiste et au Baptiste, pareil à la rosée de l’Hermon, descendant des montagnes de Sion. L’esprit divague où il veut. Arrivée à Bourdeaux. On se précipite dans le premier bar venu pour se désaltérer. Au plaisir du rafraîchissement s’ajoute le bonheur d’une immense discussion pagnolesque entre quelques consommateurs stimulés par la présence de deux « étrangers ». Achat d’arnica à la pharmacie pour soigner les épaules. Comme souvent, nos sacs sont trop lourds (10 à 14 kg).  Visite à l’office du tourisme pour la « cérémonie » des tampons : toujours le même accueil amical. Le temple est ouvert. C’est une ancienne église romaine restée inachevée, achetée par la communauté protestante en 1806 et achevée trois/quatre ans plus tard : austérité et belles boiseries, notamment la chaire.

Notre nouvelle hôtesse vient nous chercher en voiture pour nous conduire au Royaume des Ânes gris. Nos hôtes sont attentionnés, cultivés et sereins. Belle reconversion d’anciens urbains ! La maison laisse volontiers entrevoir son caractère. Nous dormons dans la roulotte, au milieu des ânes. Parmi les couleurs, les sons, les odeurs et le plaisir des papilles, nous retiendrons, pêle-mêle, le Picodon du pays de Bourdeaux, la confiture d’ortie et le sirop au thym. Pascaline et Alain cultivent du thym selon le cahier des charges de l’agriculture biologique (certification Qualité France). Ils méritent amplement le label Accueil Paysan. Une très belle rencontre ! Et une bonne nuit ponctué par quelques braiements !

J3 : Petit déjeuner à l’intérieur. Il fait un peu frisquet. Pascaline nous a préparé deux pique-niques. Par un raccourci, nous quittons le Bois Montjoux. « Montjoie » comme le vieux cri de guerre des romans médiévaux Guillaume au Court Nez ou Wace. Via Les Foulons, les Fauchiers, Patarones (attention ne pas aller vers la ferme, mais couper par le pré, à une cinquantaine de mêtres avant, par un sentier pas très visible, parallèle au chemin de ladite ferme) et Le Rastel, nous rejoignons le GR9. Jusqu’à présent, le balissage a été bon. Il faut simplement jongler avec les divers marquages car le sentier emprunte divers itinéraires (blanc/rouge, orange, bleu). Les panneaux-carrefour sont clairs. Quelques traces supplémentaires de peinture, deux ou trois indications écrites en sus et quelques cairns seraient les bienvenus. Montée jusqu’à Fondoresse (200 mêtres  de dénivelé depuis Le Rastel). Cap à l’est. Nous  laissons la forêt de Saou à main gauche. Avant la Révocation, ces bois abritèrent le Camp de l’Eternel où se rassemblèrent des coreligionnaires de Châteaudouble et de la plaine de Valence. Le 30 août 1683, une cinquantaine d’entre eux fut tuée par les dragons du marquis Charles de Saint-Ruth. Diverses condamnations s’en suivirent aux alentours. Quelques années plus tard, une bergère de seize ans, Isabeau Vincent, y devint la figure du mouvement de résistance dit des Petits Prophètes. Illétrée et occitanophone, elle prêchait la nuit, parfois en dormant, en « bon français ». Arrêtée le 8 juin 1688, longuement intérrogée à Crest, emprisonnée dans la tour, elle fut enfermée dans un couvent près de Grenoble où elle disparait. Et quidquid Deus non est, nihil est, et pro nihilo computari debet. Le chemin ne s’arrêtera jamais. Suivre un long sentier presque à plat à flanc de montagne, avant de couper la route de Floréal. 400 m plus loin, il faut traverser le Ruisseau de Roland. L’emplacement du gué semble mal indiqué (Bien le repérer à droite, après l’indication jaune de tourner). Ensuite une dizaine de lacets (100 m de dénivelé), à l’ombre, jusqu’au col du Gourdon (953 m). Quelques 500 m sur la D.156, puis couper par l’itinéraire équestre et reprendre la D.156 pour rejoindre l’Arche des trois Becs.  L’établissement est structuré autour d’une grande ferme du XVIIIe siècle, entièrement rénovée, aménagée et aggrandie. Le p’tit bonheur après sept heures de marche (dont une heure d’arrêt) : une piscine avec jets massants.  Sylvie et Eric, deux personnalités attachantes, également anciens urbains, administrent un site pilote en matière renouvelable (éolienne produisant un petit tiers de la consommation d’électricité, panneaux solaires, chaudière à granulés). Table d’hôte : le Genius Hasard nous plaça à côté d’un couple qui possède une maison, rue Cagnoli, à Saint-Martin-Vésubie. Nous avons évoqué des souvenirs de notre vallée, sans oublier les derniers ragots municipaux. Ancienne infirmière, Sylvie a eu raison de se reconvertir dans l’accueil et la cuisine (parmentier de chamois !!!). Nous dormons dans la caravane. Quelques gouttes de pluie.

J4 : Une journée à La Chaudière. Entre Bourdeaux et Die, un des principaux problèmes du sentier est la rareté de l’hébergement. Dès qu’on annonce qu’on fait le chemin, des solutions s’ouvrent spontanément, mais il n’est pas sur qu’en « haute saison », lesdits choix sont possibles. Attention pour Bourdeaux/Montmaur-en-Diois, prévoir une trentaine de km et une dizaine d’heures de marche, un peu moins pour Barnave, mais on fait une boucle pour retrouver le sentier « officiel » ! Les Trois Becs (Le Veyou, le majeur à 1589 m, Le Signal (1559 m) et La Roche Courbe ou La Pelle, 1545 m « seulement ») dominent l’alentour de leurs silhouettes découpées. L’itinéraire pour les gravir part d’un parking, en aval du Col de La Chaudière. Denivelé : 600 m environ. Entre les Becs, 100/150 m à descendre, puis à remonter, deux fois. 10 km environ. 4/5 heures de trajet. Vue panoramique sur le synclinal perché du Saou (le plus haut d’Europe), la forêt de l’Aup, le Diois, le Vercors, la plaine du Rhône et les Alpes. Au retour et au détour du chemin de La Chaudière, en revenant du Col de La Baume, nous apercevons deux jeunes chamois, des éterlous. Arrêt brusque et total. Nous sommes sous le vent. Les deux gamins marchent vers nous. Anne-Laure les « mitraille ». A deux mètres, ils stoppent net et s’en retournent flegmatiquement dans le bois.

J5 : La Chaudière/Rimon & Savel. La température a baissé d’environ 10°. Le ciel est changeant, parfois nuageux. Belle promenade sans grand dénivelé jusqu’au Col du Perrier (849 m), ensuite longue descente (une bonne heure) jusqu’à Saint-Benoît-en-Diois (500 m de dénivelé). En novembre 1574, son château fut pris par les troupes protestantes mais le village resta fidèle au papisme. Dans la décennie 1640, il comptait 35 familles romaines pour une seule huguenote. Au milieu du XIXe siècle, on trouvait 150 catholiques et 17 protestants. Nous déjeunons sous les arbres près de la cabine téléphonique, sur un banc, à quelques mètres d’une fontaine à robinet. Après la traversée du pont métallique sur la Roanne, il faut garder de la réserve sous la semelle : 600 m de dénivelé à affronter sous le soleil pendant une petite heure, sur le GR 95A qui serpente à travers les vignes. Trois quart d’heure plus tard, on rentre dans la forêt. Lorsqu’on suit les anciens sentiers, le tracé zigzague avec modération, mais entre l’ancien trajet, il faut gravir deux parties raides et « droites ». Le temps donné pour le parcours varie entre deux et trois heures. Nous débouchons sur la D581 après 135 mn d’efforts. N’est-ce pas René Barjavel dans L’Enchanteur (1984), roman réinterprétant la légende arthurienne qui écrivait : « Ce qui s’apprend sans peine ne vaut rien et ne demeure pas. Tu dois devenir ce que tu as l’ambition d’être en faisant transpirer ton corps et ton esprit…« . Pour le corps, sans aucun doute aujourd’hui !

Jean-Marie vient nous chercher avec ses deux chiennes. Ce soir, nous dormirons chez l’habitant, à un jet de pierre du village de Rimon. Bernadette et Jean-Marie sont d’anciens boulangers de la Plaine, retirés dans le village natal de Monsieur. Les pains sont donc maison. En notre honneur, dans le four domestique, Jean-Marie a fait un « suisse ». Le repas est frugal d’après Bernadette : salade au magret de canard rosé, gratin de courgette du jardin, daube de sanglier à la provençale (en insistant fortement, nous avons échappé aux pâtes à la bolognaise !), quatre fromages,  puis fromage frais de type faisselle, fraises du potager à la Chantilly, pastis et Bordeaux rouge et un bon vieux lit ceteris paribus!

J6: Petit déjeuner avec des viennoiseries et du pain maison. Bernadette prudente nous ajoute quelques en-cas pour la route. Encore une rencontre chaleureuse ! Bernadette nous accompagne jusqu’à l’Eglise de Rimon, plus haut village du Pays de Roanne (984m). Nous retrouvons le GR 95A. Longue promenade dans la forêt domaniale de Solaure jusqu’au Pas du Loup et au Col de Beaufayn (1099 m). Nous croissons un berger qui garde ses moutons… de loin. Encore une heure de marche à plat dans la forêt jusqu’ à la Croix de Justin (988 m), belvédère sur la vallée de la Drôme. Ensuite commence la descente, d’abord sous bois, par de vastes lacets, puis sur un sentier raide, revêche et dégradé. Il manque la tablette indicative sur l’avant-dernier panneau-carrefour (sans doute dévissée ). Nous n’avons pas vu le dernier, à moins qu’il n’ait disparu ? Il est temps d’arriver. L’orage menace. Après un pont métallique, nous faisons halte à côté de la piscine municipale. Notre nouvelle hôtesse Odile vient nous chercher pour nous conduire dans sa coproprieté familiale, l’ancien Couvent des Cordeliers. Le gîte compte deux chambres avec douche et lavabo privatifs . Nous sommes côté jardin sur un magnifique parc intérieur de 5 000 m2. Odile a une vie-opéra. Née au Maroc, arrivée à 22 ans en métropole, elle a retrouvé la maison ancestrale après trois décennies dans la région parisienne. Sur la Grand’Place (de la République), nous trouvons un petit restaurant convivial Ô Die Lettante dont on conseille le dessert homonyme. Bon orage : nous étreignons nos ponchos.

J7 : Les Cordeliers tiennent, à la fois, de la caverne d’Ali Baba, du jardin d’Alice et du Bois de Saint-Amand. On y trouve une lampe à huile syrienne, un marronier deux fois séculaire, une église dont la pierre de fondation date de 1685, des fleurs en bouquet, des icônes modernes, des centaines de livres, des crapauds siffleurs et en tout coin et recoin, des chats. Partout flotte l’esprit d’Odile. On peut dire qu’elle habite, à tous les sens du terme, cette demeure. Le petit déjeuner est à voir, à sentir et à déguster. Odile est volubile, pleine d’aménité et captivante. 

Nouveau passage à l’office du tourisme : encore et toujours le même accueil lors de la demande du tampon pour le passeport. A partir d’un guide, nous parcourons la vieille ville. Le temple occupe l’ancienne chapelle des Jésuites depuis 1832. La porte restaurée, sculptée de têtes d’anges,  remonte au XVIIe siècle. Une pianiste  qui rééduque sa main gauche à l’orgue nous gratifie de quelques notes de Bach avant de nous expliquer fort diligemment le fonctionnement de l’instrument réalisé par la manufacture suisse Theodor Kuhn, en 1945. La chaire date du XVIIIe siècle. Le temple possède une Bible dite de Giovanni Diodati (1576-1649), théologien protestant italien qui après avoir traduit les Ecritures en italien (1603) le fit en français (1644). Nous décidons de jeûner, le midi, décision aussi utile que morale. En début d’après-midi, nous visitons le musée municipal. Il présente d’intéressantes collections du Néolithique et de l’Âge de bronze. L’époque gallo-romaine de Dea Augusta Vocontiorum est fort représentée (quatre salles). La cité était un centre important du culte de Cybèle dont on trouve trois autels tauroboliques au musée.  La pluie a cessé. Dans l’artère principale, rue C.Buffardel, on trouve la librairie Mosaïque, avec plus de 18 000 titres. On peut y acheter la réédition (Gap, Thierry Davin, 1998) de l’Histoire des protestants du dauphiné…, en trois volumes (Paris, Grassard, 1875/6) du pasteur Eugène Arnaud (1826-1905). L’ouvrage date un peu, mais demeure une mine de renseignements. En 2009, Mosaïque a obtenu le label Librairie indépendante de Référence. Marcheurs, lecteurs, simples curieux, soutenez ces libraires cultivés, passionnés et irremplaçables. Le livre n’est pas une simple marchandise de supermarché.

Die est une antique cité. Son enceinte reste un des ensembles fortifiés romains et médievaux les plus complets. Nous en faisons le tour. Nous nous asseyons face à la Porte Saint-Marcel. On se refait le chemin que l’on a déjà fait. Quelques images précoces squattent des recoins de la mémoire. La vie est un livre où tournent les pages. La précarité de toute chose ne doit point engendrer la nostalgie. Carpe Diem. Retour aux Cordeliers pour les préparatifs de demain. Pour le dîner, nous optons pour L’Ecurie, sympathique petite table traditionnelle, dans une rue piètonne. ll repleut.  Le dos est toujours endolori, les muscles un tantinet fatigués, mais les pieds sont impeccables. La nuit sera à nouveau réparatrice.

« Reste devant la porte si tu veux qu’on te l’ouvre. Ne quitte pas la voie si tu veux qu’on te guide. Rien n’est fermé jamais, sinon à tes propres yeux » disait le poète mystique persan Farīd al-Dīn ʿAṭṭārt, dans le Mantiq al-Tayr (1177) ou Conférence des Oiseaux.

J8 :  Après un an et un jour, nous sortons de l’armoire d’Odile pour nous retrouver dans son jardin enchanté où chantent les Sonneurs à ventre jaune (Bombinae variegatae). Le ciel est maussade, l’atmosphère lourde. Nous quittons, non sans regret, ce mini-royaume d’Yvetôt, obscur et doux, discret et chaud, poussiereux et calin, espace clos d’un repli sur soi endiguant la peur de l’éphémère.

Armoire rime avec mémoire et grimoire. Le chemin va recommencer. Marcher, c’est aller à la rencontre d’un monde qui va exister par les pas du cheminot.

J9 :

L’itinéraire de ce jour suit le sentier GR95. Il pleuviote. Les nuages jouent à saute-mouton. Nous laissons Die en passant sous un mini-aqueduc devenu l’espace de quelques pas, un arc de triomphe pour nos futurs exploits pédestres de ce jour. La route bitumée fait place à un sentier qui grimpe a flanc de montagne à travers un fôret de pins sylvestres. 650 mêtres de dénivelé : 2 heures de montée à notre rythme.  Nous montons avec entrain. La pluie est capricieuse mais faible. Poncho ou pas ?  Sa longueur peut s’avérer génante sur un sentier aussi abrupt que celui d’aujourd’hui. L’important est d’emmailoter le sac à dos dans sa protection imperméable. La pente s’accentue. Il faut choisir entre transpirer ou se mouiller ce qui à la fin n’est pas très différent pour le corps. Nous optons pour le poncho, ouvert sur le devant et capuche au vent. Heureusement Eole n’est pas de la partie. A mi-pente, nous croissons quatre bergers, un âne et quelques moutons en partance pour l’alpage. Les raidillons se succèdent. Les lacets annoncent l’approche du col. La pluie a cessé. Nous soufflons cinq minutes appuyés sur nos fidèles cannes. Erreur d’appréciation ! Lorsque nous repartons, après 3/4 mn d’une dernière grimpette, nous atteignons le Pas de Brêt (958m). Quelques rayons de soleil jouent à colin-tampon avec les nuages. La vue panoramique sur le Diois est magnifique. Mais cette beauté se situe-t-elle dans le paysage ou dans l’oeil de l’observateur ? Cette vision esthètique et curative existe-t-elle hors de l’esprit humain ? La vallée est-elle belle et bonne en soi ? Ou bien cet ensemble embrassé par le regard ne transcrit-il pas une anthropologie d’un certain rapport de l’humain à la nature en mettant la réalité appréhendée en correspondance avec un niveau supérieur, avec une métaphysique si l’on peut dire. Sans aller trop loin, on dira que le paysage est porteur de signes producteurs de sens. Est-ce pour cette raison que j’aime autant les paysages dans les westerns ?

10.30. Après une courte pause, nous commençons la descente. Le sentier léger aux pas fait une épingle à cheveu face au poteau dit du » Pas de Sagatte » . Il se transforme ensuite en chemin et passe près de la ferme en ruine de Serre Jean. Encore quelques mêtres ! L’abbaye est en vue mais elle disparaît comme un esquif dans la vague. Aux trois chemins, inutile de rejoindre la route. Le chemin du milieu mène directement au monastère par les près à mouton.

Au fond d’un vallon luxuriant et verdoyant dominé par les falaises de Glandasse, Valcroissant est une ancienne abbaye cistercienne, fondée en 1118 par les moines de Bonnevaux (Dauphiné) qui connut un développement modeste traduit par la taille relativemenr réduite du bâtiment. En six siècles, le lieu connut prières, pillages, robes de bure, moutons et travaux agricoles.

Lorsqu’il fut nommé pasteur à Die, Adolphe Jules Dautheville (1858-1904) et son épouse Juliette Pauline Westphal (1859-1897) tombèrent sous le charme de l’abbaye, y séjournèrent temporairement,  l’achetèrent en 1893 , puis s’y installèrent à demeure en 1896 dans le but d’en faire un orphelinat protestant. La mort des deux époux, à sept ans d’intervalles, mit fin au projet. Valcroissant conserva sa vocation agro-pastorale. Leur tombe se trouve entre l’Abbaye et le Pas de la Roche, un kilomêtre plus bas, sur une petite colline boisée, au-dessus de la petite route qui conduit au site.

Les pierres ne meurent jamais. Marcel Legault (1900-1990), admis à Polytechnique (1918) dont il démissionna, puis à la Rue d’Ulm (1919) fut agrégé (1921) et docteur (1924) es mathématiques. Nommé maître de conférences (1927), puis professeur (1934) à l’Université de Rennes, il tentera après sa démobilisation (1940) de mener une double carrière d’enseignant/chercheur et de’agriculteur/berger.  En 1952, il achète et s’installe à l’abbaye de Valcroisssant où il menera, avec sa famille, une vie de berger philosophe, tout en entreprenant la restauration du bâtiment et un travail d’écriture marqué par sa quête spirituelle catholique. Il y a certainement plus de richesse en un seul bon livre que dans les coffres de la banque de Marzovie. Alors osez « Vivre pour être » (Paris, Aubier, 1974) dont le titre est déjà une offrande et une invitation. L’Association culturelle Marcel Legault (http://www.marcel-legaut.org/) continue à faire vivre sa pensée.

La restauration de l’abbaye, classée aux monuments historiques en 1971, est poursuivie par Rémy Legaut, fils de Marcel et son épouse Martine, et par l’association des « Amis de Valcroissant » (http://www.mairie-die.fr/Les-Amis-de-Valcroissant.html) créée par André Pitte, directeur de la revue L’Alpe, inventeur de la Fête de la transhumance et Serge Durand. Les nouveaux propriétaires  y  développent les activités agro-pastorales, éco-touristiques et socio-culturelles (http://www.abbayedevalcroissant.eu/).

Le gîte d’étape comporte deux dortoirs avec sanitaires collectifs (seize places) et deux chambres avec sanitaire privatif. Nous avons dormi dans celle donnant sur le cloître, aux rideaux bleus avec des motifs croisés.

Le soir, nous avons diné avec un groupe de randonneurs et un couple de vététistes. Repas chaud, bon enfant, avec des produits locaux.

La nuit est douce. Il pleuviote.

J10 :

A SUIVRE…Cygne animé

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Saint Jean aux trois Cygnes.

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