Monsieur le commissaire Marius M. est un fin limier, non seulement parce qu’il a une bonne tête de gros chien de chasse, mais également à cause de son flair. Très jeune, il s’est passionné pour la police scientifique. Depuis longtemps, les techniques de l’analyse balistique, la vieille dactyloscopie rajeunie par l’ordinateur, les progrès de la biologie moléculaire, et notamment les empreintes génétiques ou les nouveaux appareils de microanalyse par fluorescence n’ont plus de secrets pour lui. Il possède même l’édition originale de 1847 du Traité de médecine légale de Mathieu Orfica. Il aurait pu faire une brillante carrière dans ce service policier, mais les aléas professionnels en ont décidé autrement. Au demeurant, était-il vraiment fait pour cette activité ? En effet, Marius M. ne se fie, au-delà de toutes les analyses scientifiques possibles, qu’à son nez. Monsieur le commissaire des RG est le roi de la pifomêtrie, le Paganini du blair, le Schwarzenegger du tarin, le virtuose de la nasole . Comme les chiens truffiers à la recherche des rabasses, les truffes des provençaux, il ne quitte jamais une trace, n’abandonne jamais une piste. Ne se référant qu’à sa hure, Marius M. renifle, flaire, pressent que les deux assassinats que l’on peut désormais qualifiés de politiques, survenus en Allemagne, et pour lesquels il a été mis à la disposition de l’Office franco-allemand de lutte contre le terrorisme, ont un rapport plus ou moins direct avec Gérolstein. Et puis Gérolstein quand on adore Offenbach, la liaison parait encore plus évidente !
Sortez, sortez de ce couloir
Avec vos fines lames.
Il faisait noir dans ce couloir
Moins noir que dans nos âmes
Sortez tous de ce couloir
Sortons tous dans ce couloir avec nos fines lames.
Profitant de la pause du week end et prétextant un coup de fatigue, Marius M. s’est discrètement éclipsé. Le commissaire suppute, avec raison, que sa supérieure n’est pas fâchée de le voir disparaître pour deux jours. Sublata causa, tollitur effectus. Alors Monsieur le Commissaire prit le train pour Trêves, et de là, via l’Eifelquerbahn, Gérolstein. Au rythme lent et berceur de la locomotive, Marius M. se laissa gagner par une douce torpeur, tout en regardant à travers ses paupières mi-closes, les paysages qui apparaissent entre les tunnels. Très rapidement, la vallée se resserre entre des versants boisés et des parois de schistes verts et de grès rouges : ruines de châteaux, petites églises gothiques, stations d’été, cascades, bois de pins noirs se succèdent.
Gérolstein : deux minutes d’arrêt.
Marius M. décida de gagner son hôtel à pied. Gérolstein est une petite ville au patrimoine architectural intelligement mis en valeur, au thermalisme efficace avec ses dix-huit sources et ses thermes connus dès l’antiquité ainsi que sa tradition culinaire de la pomme de terre et des champignons. Au fil des rues et des ruelles, l’histoire de la cité défile : vestiges romains, maisons du Moyen Age, temple protestant aux vitraux et aux boiseries du XVIème siècle, ensemble thermal de style wilhelmien sans compter la maison des Bum und Bum, du nom de la famille qui exerça pendant plusieurs siècles, de manière héréditaire, la charge de gouverneur militaire des grandes-duchesses ou encore l’hôtel Sigismond, des grands chambellans de leurs Altesses Sérénissimes. Au dessus domine la fière silhouette du château grand-ducal.
Tout en humant l’atmosphère de l’ancienne capitale princière, Marius M. avait la désagréable sensation d’être suivi.