D’où venaient les (Rois) Mages ?

Les Mages « sont venus d’Orient »(en grec ἀνατολή/anatolé, d’où Anatolie !!!  est =orient = lever du soleil= soleil levant [1]) … ou à l’est par rapport à la Judée. Le modèle pourrait être le voyage à Rome (9 mois) du roi (53/72) Tiridate Ier d’Arménie, avec une partie de sa famille, une imposante suite, 3000 cavaliers ( ?) et ses mages pour rendre hommage à l’empereur Néron (66 AD).

Les dons offerts nous orientent vers l’Arabie et/ou la Syrie, sans exclure d’autres possibilités.  Justin Martyr (Justin de Naplouse) (c.100/c.165), citoyen romain, d’une famille de colons grecs romanisés, dans les Dialogues avec Tryphon, place les mages en Arabie (chapitre LXXVIII) :

« 1 Lorsque les mages venus d’Arabie eurent dit à Hérode : « Une étoile que nous avons vue dans le ciel nous a fait comprendre qu’il était né un roi dans votre contrée, et nous sommes venus l’adorer, » que fit ce prince ? Il interrogea les anciens du peuple, et ceux-ci lui répondirent qu’en effet un prophète avait dit au sujet de Bethléem :

« Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es pas la plus petite entre les principautés de Juda ; de toi sortira un chef qui conduira mon peuple. »

2 Mais quand les mages arrivés dans cette ville eurent adoré l’enfant et lui eurent offert des présents d’or, d’encens et de myrrhe, Dieu les avertit de ne pas retourner vers Hérode. 3 C’est ainsi qu’avant leur arrivée, Joseph, l’époux de Marie, qui voulait la renvoyer parce qu’il croyait qu’elle avait conçu d’un homme et qu’elle était adultère, fut averti par une vision de ne pas suivre cette pensée. Il apprit de l’ange qui lui apparut que ce n’était pas de l’homme, mais de l’Esprit saint qu’elle avait conçu, 4 et Joseph, frappé de crainte, se garda bien de la renvoyer. Le recensement qui se fit pour la première fois en Judée, sous Cyrenius, l’obligea de se rendre de Nazareth, où il demeurait, à Bethléem, feu de sa naissance, pour s’y faire inscrire, car il était de la tribu de Juda qui habitait cette contrée. Il reçut l’ordre ensuite de se retirer en Égypte et d’y demeurer avec Marie et l’enfant, jusqu’à ce que Dieu les avertit de retourner en Judée. 5 L’enfant naquit donc à Bethléem, dans une espèce de grotte, près de ce bourg où Joseph n’avait pu trouver à se loger ; c’est dans cette grotte que Marie mit au monde le Christ et qu’elle le coucha dans une crèche, et c’est là que les mages venus d’Arabie le trouvèrent…»

Yémen : Un faux attribué à Flavius Lucius Dexter (IVe siècle), l’Omnimoda Historia ou la Chronique du Pseudo-Dexter, sans doute écrit par le jésuite espagnol Roman de La Higuera (1538-1611) prétend que les trois mages ont subi le martyr dans la ville de Sessania Adrumetorum (Hadramaout, désert ouest de l’actuel Yémen), en Arabie Heureuse.

Perse : leur origine religieuse les situe plutôt dans la Perse zoroastrienne. Le chapitre 3 de l’Evangile de l’enfance syriaque ou arabe (VIe siècle, mais avec des copies tardives) précise que les mages obéissent à une prophétie du prophète Zoradascht (Zoroastre) et place le pays des mages dans l’empire parthe arsacide zoroastrien (247BC-224AD).

Arménie : Le bijoutier protestant Jean Chardin (1643-1713) dans Le Journal de voyage du chevalier Chardin (1686) soutient que les rois ont prêché et souffert le martyre en Arménie. Smbat (Sempad) (c.1206-1276), dit le Connétable (Sparapet), commandant en chef des forces militaires du royaume arménien de Cilicie, dans une lettre du roi Louis IX, indique que les rois mages sont venus de Tangat en Arménie.

Perse/Inde : Dans la Chronique de Zuqnîn [2] (Chronique du Pseudo-Denys de Tell-Mahré), en syriaque, racontant l’histoire du monde, de la Création à 775 AD (Vatican, ms syr. 162), les Mages sont venus voir l’apôtre Thomas pour être baptisés, avant de fonder l’Eglise de Perse. Après leur départ de Bethléem, les mages (trois, huit ou douze) se seraient directement rendus en Inde. Là, ils auraient construit une chapelle, où ils se rendaient pour prier Dieu de recevoir le baptême avant leur mort. Quelques années plus tard, ils entendirent parler d’un apôtre du Christ qui prêchait en Inde, Thomas. Ils se lancèrent alors à sa recherche. Quand ils le trouvèrent enfin, ils lui firent le récit de leur visite à Jésus, tandis que Thomas les enseignait sur le message de l’Évangile. Ils reçurent le baptême des mains de l’apôtre avant d’être ordonnés par lui, prêtres et évêques.

L’image du monde de Maître Gossouin (Gossuin de Metz, XIIIe siècle) penche pour l’Assyrie/Chaldée/Babylonie : « En la région de Galdée [Chaldée] fu premièrement trouvée astronomie . En celé région est la terre de Sabbe [Saba], et puis Tarse ; et Arrabe vient après. De ces [royaumes/pays/villes] furent les trois rois seigneurs qui alerent requerre Nostre Seigneur Jhesu Grist, [F 60 d] quant il fu nez en terre, comme Diex qu’il estoit, si comme il le sorent par leur grant sens d’astronomie. La croist l’encens et le mierre . Et si y a mainz pueples de diverses genz ».

On retrouvera les mêmes origines géographiques dans les visions de la religieuse augustine et mystique allemande Anne Catherine Emmerich (1774-1824) qui prétendent que les mages sont venus d’un terroir entre la Chaldée et l’Elam (sud-ouest iranien actuel), et plus spécialement dans les royaumes d’Ur et du Mozian (Meshan/Characène), entre le Tigre et l’Euphrate, de Sikdor (Shshtar) et d’Acajaja (Aghajari), dans l’actuel Khuzestan iranien.

*** Diverses traditions arméniennes fixent Balthazar (en Arabie), Melchior (en Perse) et Caspar (en Inde).

Inde/Perse/Ethiopie : Jérôme Osório (Hieronymi Osorii), évêque de Sives (Algarve), dans son Histoire de Portugal, contenant les entreprises, navigations, & gestes mémorables des portugallois, tant en la conqueste des Indes Orientales…Comprise en vingt livres, raconte qu’un roi de la ville de Cranganor [Cranganore/Kodungallur], dans le royaume de Calécut [Calicut/Kozhikode], Chéripérimale, s’étant mis à voyager pour expier un inceste qu’il avait commis avec sa sœur, vint dans la Carmanie [actuelle province iranienne de Kerman], où il trouva deux mages fameux qui étaient sur le point de s’en aller en Judée, pour y adorer un enfant nouvellement né d’une Vierge, et qui devait racheter le genre humain. Chéripérimale les pria de trouver bon qu’il les accompagnât. Ils allèrent donc ensemble, et ayant adoré Jésus, ils revinrent dans leur pays. Le roi de Cranganor, étant de retour dans sa ville, y fit bâtir une église en l’honneur de la Vierge, y fit représenter celle-ci tenant son fils entre ses bras, et ordonna qu’autant de fois que l’on prononcerait à voix haute le nom de Marie, tout le monde eût à se prosterner. C’est ce qu’Osorius assure avoir appris de personnes très instruites de ce qui regarde les Indes, et qui assurent que cela se trouve ainsi dans les anciens monuments des Indiens. Il ajoute que les Indiens dépeignent les trois mages de cette sorte. Il y en a d’abord deux qui marchent ensemble, ayant le teint blanc, vêtus à la royale, ayant leurs présents avec eux ; et derrière eux, le troisième de couleur brune, à peu près comme un Éthiopien, portant aussi ses présents.

Le Jésuite Jean-Pierre Maffée, dans son Histoire des Indes occidentales et orientales (1594), fait aussi mention de cette histoire. Il nomme Périmale le roi de Calicut.

Ethiopie (au visage brûlé (Αἰθιοπία/Aithiopía), de αἴθω (aíthô = brûler) et ὤψ (ốps = visage) /Afrique. Le royaume du prêtre Jean était un État chrétien nestorien, situé en Orient, attesté par plusieurs voyageurs européens des XIIe et XIIIe siècles (Otton de Freising, milieu XIIe/Lettres reçues par les rois occidentaux/Guillaume de Rubrock, milieu XIIIe/Marco Polo (1296/9)/Jean de Mandeville, Livre des Merveilles du Monde, 1355/7). Des recherches ultérieures des Européens pour le situer précisément s’avéreront toutes infructueuses et vont progressivement transformer le royaume en contrée mythique. Aux XIV-XVe siècles, certains situaient ce royaume en Ethiopie (Jourdan de Severac, Mirabilia, chapitre VI, 1323/Pêro da Covilhã, 1490).

Mongolie : Les Naimans (mongols occidentaux) et les Karaïtes (confédération tribale mongole convertie au nestorianisme) prétendaient descendre des mages. La princesse karaite Sorghaghtani Beki (c.1190-1252), nièce du khan Toghrul (Ong Khan), épousa Tolui (c.1191-1232), 4e fils de Gengis khan.

Cf. La lettre de Sempad, sparapet arménien au roi (1247/50) de Chypre Henri I er le Gros et à sa femme Stéphanie de Lambron (c.1220-1249), sa soeur.

Et pour terminer la Chine (ou une Chine fantasmée)

Cf. le rétable de Bladelin [Pierre Bladelin ou Pieter de Leestemakere, c.1408-1472, trésorier de Bruges (1436/8), du duché de Bourgogne (144) et de la Toison d’or (1451)] ou de Middelburg ou triptyque de la Nativité, réalisé entre1445 et 1450, par le peintre primitif flamand Rogier Van der Weyden (Roger de La Pasture), durant son séjour à la cour du duc de Bourgogne Philippe III, (Berlin, Gemäldegalerie) et plus spécialement le panneau de droite.

Les personnages sont des courtisans de la cour de Bourgogne. Ils portent des vêtements totalement contemporains. Seuls leurs âges supposés les identifient aux mages, mais ils ne sont pas couronnés. Cela ne plairait guère à Philippe III qui se voulait prince souverain. Seul Gaspard tient une couronne à la main. Le paysage et les villes sont flamandes stylisés. La curiosité est l’étoile-enfant. Cet épisode fait référence à une thématique relativement connue durant le Moyen-Âge et dont on vient de découvrir une des sources. Brent Landau (1976), professeur assistant d’études bibliques à l’Université d’Oklahoma, après avoir analysé pendant deux ans le manuscrit syriaque La Révélation des Mages (350/450) dont le titre original était probablement La montagne des Victoires d’après l’Opus imperfectum in Matthaeum qui la cite. L’affaire est transportée au pays de Shir (sans doute les montagnes chinoises : peut-être le Shaanxi), au sommet d’une montagne où se trouve la caverne qui renferme les livres rédigés par le patriarche Seth dont les Mages étaient devenus les dépositaires. Grâce à l’intervention providentielle des Mages, les Trésors du Paradis qu’Adam avait emportés, puis placés dans la Caverne des Trésors, sont revenus à Jésus, leur propriétaire légitime. Le Livre de la Caverne des Trésors (Kthāvā d-m’arrath gazzé, en syriaque), dont le titre original est Livre de l’ordre de succession des générations, écrit au Ve siècle ( ?), raconte cette même histoire. Les matières précieuses emportés du Paradis par Adam seront les offrandes des Mages à Jésus (XLVI, 9).

Dans La Révélation, les Mages sont une « multitude » descendante de Seth (3e enfant d’Adam et d’Eve) « à qui aurait été révélé qu’une étoile allait apparaître, qui sera le signe de la naissance d’un Dieu de forme humaine ». Plusieurs millénaires après la chute, les Mages (combien ?), « appartenant à une secte pratiquant la prière silencieuse », suivirent l’étoile vers Bethléem. Après l’adoration, elle se serait changée en enfant, les appelant à rentrer chez eux pour prêcher l’Evangile.

NB. Les mages pouvaient venir d’un même pays, d’une même contrée, d’un même royaume. S’ils sont rois, alors ils viennent de royaumes différents comme le montre le premier rapprochement avec la Bible : Tarsis [תַּרְשִׁישׁ] : (Tarse de Cilicie, Tartessos (Ταρτησσός) d’Espagne, Zanguebar (Zanj)(côte swahilie) ou Ophir, le port de l’or (Mer Rouge, Yémen, Erythrée ou Inde), Saba (Shéba) (Yémen) ou Séva.

Le bénédictin anglais Bède dit le Vénérable (c. 672/735), dans  in Matthæi Evangelium, indique l’origine de ces trois mages : « Mystice autem tres Magi tres partes mundi significant, Asiam, Africam, Europam, sive humanum genus, quod a tribus filiis Noe seminarium sumpsit. » (« Les mages représentent les trois continents : l’Asie, l’Afrique et l’Europe, c’est à dire le genre humain. Ils sont trois, comme les trois fils de Noé : Sem, Cham et Japhe».

Le moine bénédictin Raban Maur (c.780-856), abbé de Fulda en 822, dans Commentaria in Mattheum, commentaire en 8 livres de l’Évangile de Matthieu composé à la demande des moines de la célèbre abbaye bénédictine de Fulda (Hesse) développe une idée parallèle.

Avec Augustin d’Hippone (354/430), les mages quittent un lieu géographique précis. Il les fait venir des quatre points cardinaux pour produire à travers eux un symbole de l’ensemble de la gentilité venue reconnaître l’universalisme du message chrétien, notamment dans le Sermon 203, Sur l’Epiphanie (188, 3) :

« … Ainsi donc les bergers viennent de près voir le Christ, et les Mages viennent de loin l’adorer. Cette humilité a mérité au sauvageon d’être greffé sur l’olivier franc et, contre sa nature, de produire des olives véritables (1) ; la grâce changeant ainsi la nature. Le monde entier était couvert de ces sauvageons amers ; et une fois greffé par la grâce le monde entier s’est adouci et éclairé. Des extrémités de la terre accourent des hommes qui disent avec Jérémie : «Il n’est que trop vrai, nos pères ont adoré le mensonge (2)». Et ils viennent, non pas d’un côté seulement, mais comme l’enseigne l’Evangile de saint Luc «de l’Orient cet de l’Occident, du Nord et du Midi », pour prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob, au festin du royaume des cieux (3). Ainsi c’est des quatre points cardinaux que à grâce de la Trinité appelle à la foi l’univers entier. Or ce nombre quatre multiplié par unis, est le nombre sacré des douze Apôtres, lesquels paraissaient figurer ainsi que le salut serait accordé aux quatre parties du monde [1. Rm XI, 17; Jr XVI, 19; Luc, XIII, 29] par la grâce de la Trinité. Ce nombre était marqué aussi par cette nappe immense que Pierre aperçut remplie de toutes sortes d’animaux (1), représentant tous les Gentils. Suspendue aux quatre coins elle fut à trois reprises descendue du ciel, puis remontée : trois fois quatre font douze. Ne serait-ce pas pour ce motif que durant les douze jours qui suivirent la naissance du Seigneur, les Mages, les prémices de la Gentilité, furent en marche pour aller voir et adorer le Christ, et méritèrent d’être sauvés eux-mêmes ainsi que d’être le type du salut de tous les Gentils ? [1. Ac, X, 11»].


[1] Le terme est utilisé dix fois dans la Bible chrétienne dont 5 fois par Mathieu.

[2] La Chronique a été conservée dans le monastère des Syriens, dans le désert du Wadi Natroun (Egypte), puis acquis par Youssouf ibn Siman as-Simani (1678/1768) Giuseppe Simone Assmani/Josephus Simonius Assmanus, prêtre maronite (1703), puis romain (1710), premier custode de la Bibliothèque Vaticane (1738) et archevêque in partibus de Tyr. Depuis, le manuscrit est à la Bibliothèque Vaticane (VAT.SYR. 162).

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