Bref panorama de la franc-maçonnerie en Afrique du Sud

Peuplée par divers peuples bantous qui s’organisèrent en royaumes, l’Afrique du Sud fut dominée par l’« empire zoulou » (XVIIIe-XIXe siècles) et colonisée par les Européens (XVIe-début XXe siècles). Durant l’Union sud-africaine, dominion britannique de 1910/1961 devenue République d’Afrique du Sud (1961-1994), le pays fut marqué par une politique raciale de « développement séparé », théorisée comme régime d’apartheid (1948/91). Après une période de transition (1989/94), l’Afrique du Sud est devenue la nation arc-en-ciel sous la présidence (1994/99) de Nelson Mandela (1918-2013).

La franc-maçonnerie sud-africaine est totalement imprégnée par l’histoire heurtée du pays. Elle demeure extrêmement diverse et complexe de par ses particularités ethniques, culturelles et linguistiques. Ce furent les Néerlandais qui fondèrent les premiers ateliers, notamment De Goede Hoop n° 12, à Cape Town en 1772, suivis par les Anglais en 1811 (British Lodge n° 334). Les Écossais (1860) et les Irlandais (1896) apparaîtront plus tard. Dès 1875 et 1892, des projets d’union virent le jour. L’Union sud-africaine (1910/61) vit l’essor d’une maçonnerie « blanche » largement monocolore.  Jusqu’en 1961, ces quatre obédiences coexistèrent en Afrique du Sud au travers de leurs districts et provinces. En 1952, une première obédience unifiée éphémère dite South African Order of Masonry vit le jour.

En décembre 1960, une réunion des principaux officiers provinciaux sud-africains discuta des suggestions métropolitaines. En janvier 1961, un projet de constitution obédientielle fut présenté aux grands maîtres provinciaux anglo-saxons d’Afrique du Sud et aux 94 loges néerlandaises, lesquelles approuvèrent le projet en février 1961. Le 22 avril courant, la Grande Loge d’Afrique du Sud fut constituée avec le colonel Colin Graham Botha (18831973), ancien archiviste en chef de l’Afrique du Sud (1919/44) & fondateur-président (1953/4) de la Heraldry Society of Southern Africa, comme premier grand maître. À sa naissance, la nouvelle obédience comptait 104 ateliers et 4384 membres, 128 en 1981.

Présentement l’obédience (61 loges) est partagée en cinq « divisions » :

** La Southern (1863) : 16 loges dont13 à Cape Town (Le Cap), 2 à Paarl (120 000 habitants, à 65 km au nord-est du Cap) &  à Strand, station balnéaire à 50 km au sud-est du Cap. La plus ancienne est la De Goop Hoop renumérotée n° 1, la plus récente la Cape Town Lodge n° 138 (2002).

** La Northern (1902) : 23 loges dont 7 à Johannesburg, 5 à Prétoria, 1 dans 9 villes moyennes du Free State (ex-Orange) (Boksburg, Carltonville, Cullinan, Germiston, Kinross, Klerksdorp, Krugersdorp, Roodepoort & Rustenberg), 1 à Nelspruit, capitale de la province du Mpumalanga & Pietersburg, capitale de la province du Limpopo. La plus ancienne est Aurora n° 8 (1868) à Prétoria, la plus jeune, Flaming Star Lodge n° 139 (2005), à Johannesburg.

** La Central (1962) : 9 loges dont 2 à Bloemfontein, chef-lieu de la province du Free State et siège de la Supreme Court of Appeal of South Africa, 6 dans le Free State (Bultfontein, Koffiefontein, Kroonstadt, Parys, Senekal & Welkom) et 1 à Kimberley (province de Northern Cape). La plus ancienne est Unie n° 14 (1864), sise à Bloemfontein, la plus récente la Bultfontein Lodge n° 123 (1977).

** L’Eastern (1977) : 7 loges, toutes dans la province du KwaZulu-Natal (4 à Durban, 1 à Empangeni, Margate & Pietermaritzburg). La plus jeune (Neerlandia n° 31, 1922) et la plus récente (Isandlwana n° 141, 2013) sont sises à Durban.

** L’Eastern Cape (2002) : 6 loges, toutes dans la province de l’Eastern Cape (3 à Port-Elisabeth, 1 à East London, Graaf Reinet & Queenstown). La plus ancienne fut établie à Graaf Reinet (De Vereeniging n° 3, 1834), la 4e plus ancienne ville du pays (1786), la plus jeune se trouve à Port Elisabeth (Tolerance n° 142, 2015).

Néanmoins, les trois obédiences britanniques ont maintenu leur présence. Après l’union de 1961, la Grande Loge d’Angleterre avait conservé sept grandes loges de district avec 275 loges.

Présentement, elle en conserve six :

** South Africa North (Johannesburg), fondée en 1895 (101 loges, 2 300 frères) ;

** KwaZulaNatal (Durban) (41 loges) ;

** South Africa, Eastern Division (1877), couvrant la province du Cap Oriental ;

** South Africa, Western Division ;

** Orange Free State (1892) : 120 frères et 4 loges dont

Bloemfontein ;

** South Africa Central Division.

2) La Grande Loge d’Écosse est présente avec quatre grandes loges de district (132 loges, 160 en 1981) :

** Central South Africa : 94 loges dont 34 à Johannesburg, 23 dans la région minière du Reef (Rand ou Witwatersrand) dont trois à Boksburg (350 000 habitants), trois à Germiston (260 000 habitants) et trois à Roodeport (350 000 habitants) et 40 dans le Free State (ex-Orange) & la province du Gauteng dont quatre à Prétoria, deux à Bloemfontein, deux à Kempton Park, banlieue nord de Johannesburg et deux à Vereeniging (100 000 habitants). Toutes les loges sont anglophones, sauf quatre qui travaillent en afrikaner et une en grec (Orpheus n° 1537, à Prétoria) ;

** KwaZulu-Natal : 18 loges dont huit à Durban (3 500 000 habitants dont 1/5 d’origine indienne), deux dans la capitale Pietermaritzburg, deux à Newcastle (agglomération : 236 000 habitants) et deux dans des petites villes : Amanzimtoti, station balnéaire (15 000 habitants) & Mtubatuba (2 000 habitants) ;

** Eastern Province of Cape of Good Hope : 16 loges (trois en langue afrikaner) dont quatre à Port-Elisabeth, trois à East London et deux à Queenstown ;

** Western Province of Cape of Good Hope : 9 loges dont 5 à Pinelands, banlieue-est résidentiel de Cape Town & 2 à Capetown.

3) La Grande Loge d’Irlande possède trois grandes loges provinciales :

** Natal : onze loges dont sept à Durban-Rossburgh ;

** South Africa Northern (site provisoirement inaccessible);

** Southern Cape : huit loges dont cinq à Southern Cape.

Le Grand Orient des Pays-Bas (Grootoosten der Nederlanden) n’a conservé qu’un seul atelier de Johannesburg dit Eendracht Maakt Macht n° 88 (1899).

Les deux tiers des loges travaillent en anglais, un quart en afrikaner, quelques-unes en allemand ou en grec. La franc-maçonnerie sud-africaine reste encore largement marquée par presque deux siècles de discrimination raciale. Les Indiens furent les premiers non-blancs acceptés dans les loges, notamment écossaises. L’initiation des Noirs et des coloureds (métis) demeura longtemps homéopathique. Les choses commencèrent à changer doucement après l’érection de la Grande Loge d’Afrique du Sud (1961). En 1970, deux loges du Cap, Ethiopia Lodge n° 75 (aujourd’hui St Patrick) & Coppin Lodge n° 76 (aujourd’hui Southern Cross) dépendant de la Grande Loge afro-américaine Prince Hall de Pennsylvanie sollicitèrent leur rattachement à la nouvelle obédience nationale. Une longue discussion aboutit à un compromis prévoyant la « régularisation » des frères. La principale difficulté venait des pouvoirs publics, les lois d’apartheid interdisant l’admission de Noirs dans une association blanche. Avec l’appui du général Hendrik van der Bergh (1914-1977), chef des services secrets (1968/80), le premier ministre (1966/78) John Vorster (1915/1983) autorisa le transfert. Le 19 novembre 1977, les frères furent « régularisés » aux trois degrés symboliques dans le temple De Goede Hoop au Cap [1].

L’abolition des lois sur l’apartheid (1989/91) ne fut pas sans conséquence sur la vie maçonnique sud-africaine. Les effectifs sont à la baisse (départ d’une minorité de frères blancs) et malgré des efforts, la franc-maçonnerie d’Afrique du sud est moins d’être un ensemble arc-en-ciel.

L’International Order of Co-Masonry Le Droit Humain a installé la South African Federation en 1995. La première loge mixte fut consacrée en 1914 à Durban. Présentement, la fédération compte six loges dans quatre orients : Cape Town, Durban (2), Johannesburg & Prétoria (2). La scission indienne du DH, l’Eastern Order of International Co-Freemasonry et l’Order of Women Freemasons sont également présents en Afrique du Sud.

[1] . Avec certaines églises multiraciales, la franc-maçonnerie fut une des rares institutions légales à ouvrir une petite brèche dans l’apartheid social & culturel sud-africain.

2 réflexions sur « Bref panorama de la franc-maçonnerie en Afrique du Sud »

  1. Merci pour cet intéressant article de vulgarisation décrivant le paysage maçonnique actuel de l’Afrique du Sud.
    Afin de le compléter , il serait naturel de parler de la composante humaine de cette FM et d’ évoquer la situation actuelle des Frères sud-africains, notamment ceux de race blanche dont un bon nombre hésite désormais à se rendre en loge, particulièrement en soirée, par crainte d’agressions désormais devenues quotidiennes.
    Pour ceux d’entre eux qui sont fermiers sur des terres agricoles, il faut savoir que le parlement sud-africain a voté en mars dernier un texte prévoyant de les exproprier sans compensation. Un parti extrémiste dirigé par Julius Malema appelle ouvertement à accélérer le processus. On est désormais entré dans le schéma qu’a connu le Zimbabwe avec expulsion forcée de la population blanche et famine à la clé. En Afrique du Sud 3500 fermiers ont été assassinés depuis 1994. Un grand nombre d’entre eux étaient franc-maçons. La situation économique et sociale du pays se détériore avec un chômage à 40%, et une entrée en récession depuis 2017 (source ONU). La nation ‘arc en ciel’ prônée par Mandela et que de belles âmes voulaient voir comme un modèle de multiculturalisme et de tolérance est devenue en réalité une terre où pauvreté, délinquance et criminalité n’ont jamais été aussi fortes.
    A défaut d’un soutien, une pensée pour nos frères sud-africains serait la bienvenue.

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