Quelques éléments sur la naissance de la franc-maçonnerie moderne en Ecosse

scottish_kilt_masonic*Le 10 juillet 1560, quatorze comtes, six évêques catholiques, dix-neuf Lords, vingt-un abbés, vingt-deux députés de Burgh (ville et sa contrée) et une centaine de Lairds (propriétaires non nobles) se réunirent en Parlement lequel forma une Commission des articles de foi qui après trois semaines de travail, condamna divers dogmes romains et recommanda de restaurer la discipline du Christianisme ancien. Le 17 août, il approuva une Confessio Scotica en vingt-cinq articles, puis le 24, il interdit le catholicisme papal dans le royaume calédonien. Il faudra cependant deux décennies pour que le régime presbytérien soit pleinement établi en Ecosse, mais de forts noyaux catholiques subsistent.

**La naissance d’une nouvelle forme d’organisation maçonnique se situe durant le règne de Jacques VI Stuart (1566-1625), roi d’Ecosse en juillet 1567, puis en mai 1603, roi d’Angleterre sous le nom de Jacques I.

***Dans le dernier tiers du XVe siècle, le Métier (Craft) est organisé de manière duelle :

  • L’Incorporation, guilde municipale de maîtres bourgeois, garante des droits et franchises des métiers différents et présidée par un Deacon;
  • La loge (le mot lodge peut désigner le chantier, le local de réunion mais également une micro-institution qui a le pouvoir d’organiser et de réguler les ouvriers, notamment les compagnons (fellows).

****William Schaw (c.1550/1602), Master of the Works (1583), puis General Warden ou Praefectum Architecturae, catholique, courtisan, humaniste, publie le 28 décembre 1598 les Statuts et Ordonnances à observer par tous les maîtres maçons du royaume. Ces textes reprennent divers devoirs empruntés au Ms Cooke ou au Ms Grand Lodge n° 1. Mais plusieurs innovations apparaissent :

°Chaque loge (sens ancien) sera présidé par un Warden (garde) sous l’autorité du General Warden. Cette charge évoluera beaucoup durant tout le  XVIIe siècle;

°Une progression se met en place : le Booked Apprentice, l’apprenti enregistré par l’Incorporation à l’initiative de son maître, passe, au bout de 1/3 ans, Entered Apprentice dans la loge, avant d’être admis au bout de sept ans comme Fellowcraft/Master, avec une mini-cérémonie « symbolique ». Il est également prévu que le Deacon de l’Incorporation partagera l’autorité du Warden de la loge. A noter que le Fellowcraft de la loge demeurait le plus souvent dans la cité qu’un simple Booked Apprentice, simple ouvrier non spécialisé sans droits civiques.

°Les loges du royaume sont confédérées sous la direction du General Warden, nommé par le roi, mais les liens se diluèrent durant tout le XVIIe siècle.

°Schaw publie, le 28 décembre 1599, des nouveaux Statuts en quatorze articles. Il semblerait qu’y apparaisse le Mason Word. En revanche, les Cowans (manœuvres) sont interdits en loge.

*****La lettre-décret Copland d’Udoch (1590), les deux Statuts Schaw (1598 & 1599), les deux Chartes St Clair (1600/1 & 1627/8) et les Statuts Falkland forment un corpus commençant à élaborer une structure maçonnique nouvelle, à l’échelle du royaume, dépassant le cadre des loges de chantier.

******D. Stevenson a mis en évidence les premières occurrences d’usages maçonniques apparues pour la première fois en Ecosse :

°Dans les Statuts Schaw, on trouve le plus ancien usage du mot lodge au sens moderne (c’est-à-dire d’une institution opérative (encore composée exclusivement d’opératifs) qui s’occupe des affaires du métier mais où l’on trouve déjà des éléments spéculatifs, la preuve que cette institution existe de façon permanente, les plus anciens registres de procès-verbaux desdites loges et la première forme d’organisation à l’échelle du royaume ;

°1634 : Traces de l’admission en loges de non-opératifs, sous réserve que ce terme désigne prioritairement des non operative masons (opératifs d’autres métiers n’appartenant pas à la maçonnerie) et quelquefois des gentlemen masons[1]) ;

[1] Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, ni les accepted masons, ni les gentlemen masons ne sont synonymes de « maçons spéculatifs ».

°1638 : Dans un poème The muses threnodie or, mirthfull mournings on the death of Master Gall [1], du poète Henry Adamson (1581-1637), édité par le prédicateur, maître d’école et poète de Perth, George Anderson (1581 / 1637 ou 1639), on trouve la plus ancienne référence explicite au Mot de Maçon (Mason Word) [2] (le secret du métier) et le don de double vue (second sight) ainsi que la controverse qui s’y rattache;

°1696-1714 : les manuscrits dits du groupe Haughfoot (Manuscrit des archives d’Edimbourg, Ms Chetwode Crawley, Ms Kevan) et le Ms Airlie (1705) révèlent le Mot de Maçon, décrivent les moments de la réception et attestent des grades d’Entered-Apprentice et de Fellowcraft.

*******Au XVIIe siècle, on trouve plusieurs témoignages de réceptions d’accepted ou de gentlemen masons :

°William Schaw ( ?) ;

°1600/1 : les Lairds Sinclair de Roslin, semblent avoir été reçus en loge ;

°John Boswell (c.1532/1609), 3e Laird of Auchinleck, à Mary’s Chapel, à Edimbourg (1600) (mais a-t-il vraiment été fait maçon ?);

°En 1634, Mary’s Chapel reçoit, Lord William Alexander McAlister, 1er comte de Stirling (c.1567 :1640), Sir Anthony Alexander, son frère cadet et Sir Alexander Strachan of Thornton, 2e baronnet, puis quatre gentlemen masons l’année suivante ;

°Le 20 mai 1641, à Newcastle-on-Tyne (Northumberland), les Ecossais Robert Moray (c.1608-1673), diplomate, courtisan, militaire, alchimiste et philosophe et futur président-fondateur de la Royal Society de Londres (1660)°et Alexander Hamilton, général de l’artillerie, sont reçus maçon accepté par un groupe de membres de la loge d’Edimbourg ;

°Selon le Mark Book de la Lodge of Aberdeen (actuellement n° 1 ter) qui commence en 1670, la loge à cette date compte 49 fellow crafts et master masons dont dix maçons de métier seulement.

°1672 : John Kennedy (1653-1701), 7e comte de Cassilis (1668), pair d’Ecosse est Deacon de la Kilwinning Lodge (actuellement n° 0) ;

°Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, on trouve des gentlemen (accepted) masons dans les loges d’Aberdeen, Aitchison’s Haven, Dumfries, Dunblane, Dundee, Dunfermline, Elgin, Hamilton, Haughfoot, Kelso, Kilmolymock, Kilwinning, Melrose, Newstead, Perth & Scone. Est-ce la preuve de la théorie « classique » de la transition ?

********En réalité, les loges qui reçoivent des gentlemen masons sont des institutions créées par la réforme Schaw. Elles portent le nom de Lodge (opérative) mais ont des pratiques différentes des loges opératives « classiques ». Elles se réunissent, une à quatre fois par an, uniquement pour faire des réceptions et des avancements et s’efforcent, sans grand succès, de contrôler le métier à cause du poids de l’Incorporation. Au total, l’admission des non-opératifs demeure un phénomène tardif, souvent très faible et qui semble se tarir à la fin du siècle. Mieux, les loges majoritairement non-opérative (Dunblane, Haughfoot, Kelso) semblent être redevenues en grande partie opérative dans les décennies 1700/1720.

La réforme Schaw fut donc un échec. Les loges version Schaw semblent s’ignorer superbement. Néanmoins, une certaine forme de franc-maçonnerie est née en Ecosse au début du XVIIe siècle. Elle était, fut largement encore au XVIIIe et demeura en partie jusqu’au XIXe siècle, opérative.

*********Cependant ce ne fut pas ce processus qui aboutit à la formation de la Grande Loge d’Ecosse. La communication faite à Mary’s Chapel, par le pasteur Desaguliers, le 24 août 1721, orienta la maçonnerie écossaise vers le modèle obédientiel anglais. C’est à l’automne 1735 que quatre loges (Canongate Kilwinning, Kilwinning Scotys Arms, Leith Kilwinning & Mary’s Chapel), toutes d’Edimbourg, dirigées par des gentlemen masons s’associèrent dans un projet commun. Le 30 septembre 1736, 32 loges (mais les 2/3 des délégués appartenaient aux quatre loges susnommées) se réunirent à Edimbourg pour le concrétiser.

 

Liste des plus « anciennes » loges d’Ecosse :

*Lodge Mother Kilwinning n° 0 : elle prétend remonter à 1286, voire 1195. Cependant ses premiers registres (Old Minute Book) s’ouvrent en 1642 mais les Statuts Schaw (1598/9) la mentionnent en décembre 1599. Furieuse d’avoir le n° 2 dans la nouvelle Grande Loge d’Ecosse, derrière Mary’s Chapel, elle fait sécession de 1744 à 1807 et constitue une micro-obédience avant de voir reconnaître son ancienneté sous le numéro 0.

*Aitchinson’s Haven Lodge : les minutes de la loge commencent au 9 janvier 1598. L’atelier a cessé ses travaux en 1852.

*Lodge of Edinburgh n° 1 Mary’s Chapel, fondée par William Schaw. Son registre s’ouvre au 31 juillet 1599. Fondatrice de la Grande Loge d’Ecosse avec le numéro 1.

*St Andrew Lodge n° 25. Son livre débute le 27 novembre 1599. Elle porte aujourd’hui le n° 25 (27 en 1736).

*Lodge Ancient Stirling n° 30 (actuel). Mentionnée en décembre 1599.

*Haddington St John Kilwinning Lodge n° 57 (actuel) : Aitchinson’s Haven, Mary’s Chapel, St Andrew, Haddington et Dunfermline (ci-après) sont partie prenante de la First Saint-Clair Charter (1600/1).

*Dunfermline Lodge n° 26 (actuel) : voir ci-dessus.

*La loge de Glasgow est mentionnée dans les registres de décembre 1613 de l’Incorporation.

*La loge de Dundee est citée dans la Second Saint Clair Charter (1627/8) comme Mary’s Chapel, St Andrew, Stirling, Dunfermline et Glasgow.

 

Liste des premiers grands maîtres de la Grande Loge d’Ecosse :

*1736/7 : William Saint-Clair of Roslin (c.1710-1778), 21e baron de Roslin, golfeur et archer;

**1737/8 : George Mackenzie (c.1703-1766), 3e comte de Cromartie, pair d’Ecosse (1731). En 1745/6, il rejoindra les jacobites mais fait prisonnier, il voit ses biens confisqués en 1748 ;

***1738/9 : John Keith (c.1699-1758), 3e comte de Kintore, pair d’Ecosse, Knight Marischal d’Ecosse (1733/58), grand maître de la Grande Loge d’Angleterre (1740/1) ;

****1739/40 : James Douglas (1702-1768), 14e comte de Morton, pair d’Ecosse (1738), astronome, jacobite, grand maître de la Grande Loge d’Angleterre (1741/2), président (1737/68) de la Philosophical Society d’Edimbourg et président (1764/8) de la Royal Society de Londres ;

*****1740/41 : Thomas Lyon, 8e comte de Strathmore & Kinghorne, pair d’Ecosse (1735), grand maître de la Grande Loge d’Angleterre (1744/5).

 

«Classement » actuel des loges de la Grande Loge d’Ecosse :

**************Lodge Mother Kilwinning n° 0;

************* Lodge of Edinburgh n° 1 Mary’s Chapel;

*********** Lodge of Melrose St John n° 1 bis : une plaque de bois à l’intérieur du hall du temple présente les armes des maçons avec la date de 1136 (mais la référence semble du XIXe siècle). En revanche la loge possède son registre ouvert le 28 décembre 1674, mais elle a été fondée avant 1598.

********* Lodge of Aberdeen n° 1 ter : prétend remonter à 1359. Son Mark Book commence en 1670, mais la loge existe avant ;

******** The Canongate Kilwinning Lodge n° 2, sise à Edimbourg, constituée en 1677, mais héritière de la Lodge of Edinburgh existe avant, elle est la loge des élites urbaines au XVIIIe siècle;

******* Lodge Scoon and Perth n° 3 : documentation à partir du 24 décembre 1658, mais existe avant;

****** Lodge of Glasgow St John n° 3 bis : mentionnée dans les registres de décembre 1613 de l’Incorporation et dans la Second Saint Clair Charter (1627/8) ;

***** Glasgow Kilwinning Lodge n° 4, constituée le 1er avril 1737, comme « fille » de Canongate Kilwinning, mais existe avant 1628 ;

**** Lodge Canongate & Leith, Leith & Canongate n° 5  : fondation le 6 mai 1688;

*** Old Inverness Kilwinning S’John’s n° 6, existe avant 1678;

** Hamilton Kilwinning Lodge n° 7, existe avant 1697;

* The Lodge of Journeymen Masons n° 8, sise à Edimbourg, constituée en 1707 par des gens du bâtiment pour continuer à délivrer le mason word c’est-à-dire la qualification professionnelle aux maçons de métier, elle demeure opérative avec une forte tradition mutualiste et solidaire.

Bibliographie

NB : Deux auteurs fondamentaux :

*Dachez Roger, L’invention de la franc-maçonnerie. Des opératifs aux spéculatifs, Paris, Véga, 2008 ;

*Stevenson David, The first Freemasons. Scotland’s Early Lodges and Their Members, Aberdeen University Press,1988 ; The Origins of Freemasonry, Scotland’s century 1570-1710, Cambridge University Press, 1988; traduction française avec une préface d’Alain Bernheim, Les Origines de la Franc-Maçonnerie. Le siècle écossais 1590-1710, Paris, Ed. Télètes, 1993.

 

 

[1] Imprimé à Edimbourg, au King Jame’s College, par George Anderson, 1638.

[2] Le Mot du Maçon, au sens le plus simple, désigne le mot et les signes permettant d’écarter de la loge non seulement les gens d’un autre métier mais aussi les cowans (manœuvres non qualifiés ou maçons « sauvages » soupçonnés d’incompétence et/ou de marginalité).

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